Le cloître de la cathédrale de Tréguier
On pénètre généralement par la porte St Jean dans le cloître de la cathédrale. Ce cloître est un espace complémentaire de la cathédrale , bien qu’il n’ait pas de rôle liturgique essentiel. Avant la Révolution , lors des offices solennels en la cathédrale (messe pontificale), avait lieu une « procession qui partait du tombait de St Tugdual, descendait la nef , s’arrêtait devant le tombeau de St Yves , entrait dans le cloître et regagnait le chœur par la porte St Jérôme. » (Porte SE actuellement murée).
Ici ce n’est pas un cloître de monastère, le monde de la clôture ; nous sommes dans un cloître de cathédrale : un des rares en France qui ait subsisté, le seul en Bretagne (remis en état en 1910 par les Monuments Historiques).
Une construction tardive à l’époque du gothique flamboyant
Les 46 baies aux arcs légers , reposent sur des colonnes à quatre minces fûts en granit local de l’Ile-Grande et de Pluzunet. Remarquez les « deux arcatures trilobées reposant sur une fine colonnette et supportant un quadrilobe inscrit dans l’arc de l’ogive » . De la dentelle en granit ! quelle finesse ! Qui a dit que le granit se prêtait difficilement à la sculpture ? « en jouant de l’ombre et de la lumière , l’architecture du cloître façonne son propre décor éphémère et changeant …au gré des motifs ouvragés des baies, la lumière se fait géométrique ou flamboyante, éclatée ou contenue… »
La voûte est en bois mais l’existence de solides et nombreux contreforts ne laisse-t elle pas penser qu’ une voûte en pierre avait dû être envisagée mais ne fut jamais réalisée (manque de finances ? ).
Remarquez la sablière en pierre sculptée qui court autour du cloître. Quelques sculptures dans les remplages … quelques têtes remarquables… Mais à la différence du cloître roman , pas de chapiteaux sculptés, ce n’est plus la « mode » de la « bible de pierre » ; la construction est gothique flamboyante…
Cette construction du XV ème est réalisée en 18 ans ( 1450 à 1468 ) sous les 3 évêques Jean de Ploeuc, Jean du Coetquis, Christophe du Chastel ( vous trouverez leurs armoiries à la sortie SE du cloître) ; cette courte durée de réalisation nous vaut une belle unité d’ensemble.
Ce cloître émerveille aussi bien le croyant que le non croyant…Son message est transmis par l’art…c’est l’univers du « beau »
Pourquoi édifier au XV ème un cloître annexe à la cathédrale ?
Les conciles d’Aix La Chapelle au IXème ont réformé la vie monastique selon les préceptes de Benoît d’Aniane : au siège épiscopal est adjoint un collège de chanoines (conseil de l’évêque); les chanoines doivent respecter la règle monastique (matines, laudes, tierces, none…) et résider dans le cloître attenant à la cathédrale Le cloître est donc l’espace du chapitre ; certains cloîtres étaient même constitués uniquement d’habitations réservées aux chanoines (ND de Paris). A l’époque nous ne savons pas comment vivaient les chanoines à Tréguier, ce cloître n’existant pas…
Le chapitre de la cathédrale est composé de dignitaires (Trésorier, Chantre, Archidiacres, scholastique) 14 chanoines prébendés… . Il doit assurer la pérennité du service divin dans l’église cathédrale, dont il gère le règlement et les problèmes matériels. Seuls certains dignitaires ont voix (délibérative) au chapitre, qui se réunit chaque semaine et règle les affaires communes.
Les relations entre l’évêque et son chapitre ne sont pas toujours simples ni au spirituel ni au temporel car le chapitre est aussi seigneur temporel et il administre, comme l’Evêque, de nombreux biens au profit de l’Eglise. Le chapitre se réunit dans ce cloître comme la Communauté de la ville se réunit dans le cloître voisin de Notre-Dame de Coatvolvezou , une des églises paroissiales de Tréguier (Place des Halles) détruite au XIX ème
Après la canonisation de saint Yves, le duc Jean V de Bretagne qui a souhaite être inhumé auprès de saint Yves donne au chapitre les revenus des seigneuries de Plouguiel et Plougrescant.Cette fondation apporte au chapitre une certaine richesse, et surtout une grande aura religieuse. Les fondations affluent tout au long du XVème siècle, d’origine ecclésiastique, noble ou bourgeoise, souhaitant imiter le duc de Bretagne. L’évêché vit alors une sorte d’âge d’or, qui possède à la fois, notoriété, abondance et bâtiments prestigieux. On a pu voir alors l’édification du cloître et la finition du chevet de la cathédrale ; St Yves et ce cloître sont donc indirectement liés.
Le cloître, à l’ombre de la cathédrale , « relève d’une esthétique du pouvoir au même titre que la cathédrale de l’évêque. »
Des gisants qui nous interpellent ?
Leur présence surprend … y a-t-il eu des sépultures dans le cloître comme en la cathédrale ? Il est vrai qu’après la Révolution , le cloître a accueilli des gisants rescapés de la cathédrale ; le jeune Ernest Renan les a fréquentés : « je n’étais heureux que dans la compagnie des morts, près de ces chevaliers, de ces nobles dames dormant d’un sommeil calme… » mais ces gisants ont été remis dans les bas-côtés de la cathédrale au XIX ème siècle
Au XX ème siècle (1932) , Monsieur de Kerguézec , sénateur maire de Tréguier, Président du Conseil Général, a fait transférer à Tréguier au moins 16 mausolées ou plaques tombales remisés à Saint Brieuc. Il les a fait installer ici , souhaitant transformer le cloître en musée dans le cadre de son ambition de faire de Tréguier une ville d’Art. Ces enfeux ne sont donc pas de Tréguier mais d’ailleurs : Abbaye de Beaulieu, (Languédias), cathédrale de St Brieuc , église d’Yffiniac de Lannebert, de Matignon… Nous avons ici une esquisse de musée remarquable spécialisé dans l’art funéraire.
Queques détails de ces gisants sont remarquables : vieillards à la tête expressive , chevalier à la belle chevelure ou coiffé à l’écuelle… Vous trouverez : des abbés de monastères (crossés ou non , des mains d’angelots porte-livre, porte-écu, bréviaire, calices) des chanoines portant l’aumusse, des évêques mitrés…-de nobles chevaliers : armés , casqués, épées au côté, le lion au pied…et une seule femme : le dernier tombeau (mur S) , deux chiens, symbole de fidélité à ses pieds !
Galerie ouest: Gisants 2 & 3: Deux abbés de Beaulieu, aumôniers du Duc Jean V, Guillaume Boutier (tête de vieillard remarquable) est crossé, Guillaume le Floch ne l’est pas parce qu’il n’était plus Abbé à sa mort (l’abbé c’est le chef du monastère) ; des anges porte-livres sont sculptés ; décors flamboyants du dais.
Galerie nord :Gisant 4 : Tombeau d’un prêtre, non identifié (tête tonsurée, calice, bréviaire à fermoir)
Au mur Gisant 5 (tombe plate) : Pierre de Chabucet : chanoine de St Brieuc, Il joint les mains et est coiffé de l’aumusse…
Gisant 6 Alain de Vitré: le plus ancien gisant (1220/ XIII ème ) : Le colossal seigneur Alain de Vitré ( sénéchal mort à 42 ans) … Le gisant privilégie l’image du héros plutôt que le défunt. (des traits anglais caractérisent cette œuvre : grande dimension, bouclier porté au bras, mains non jointes, stature épique, allure combative…)
Gisant 9 : Guy Le Lionnais (1477/1517): Abbé de Beaulieu, chanoine de Rennes , Garde des Sceaux a une tête très expressive ; il porte l’aumusse (coiffure de chanoine) et la chape des chanoines ; un phylactère s’échappe de ses mains. 3 anges ( porte-écu, porte-livre, porte épitaphe…). Le personnage n’est pas crossé.
Au mur tombe plate de Guy Eder , évêque crossé et mitré , conseiller du Duc Jean V
Galerie est : Les Gisants 10, 12, 13 & 14 : Eon Gillebert (Yffiniac), chevalier est coiffé à l’écuelle ; le lion a ses pieds symbole de force et de résurrection…Un ange porte les armes du défunt
Trois hommes d’armes de l’Eglise St Michel de Saint-Brieuc (1580/1635 ) (emploi du kersanton) .
Galerie sud : Les gisants15 &16: - Le mausolée de Jeanne Buchon (provenance Yffiniac) épouse d’Eon Gillebert : les deux chiens à ses pieds symbolisent de la fidélité).
-Alain de Penmarc’h (au mur, provenance St Brieuc) : chanoine, porte l’aumusse.
Clo_treCe cloître gothique flamboyant mais sobre est un lieu ouvert à d’autres espaces par ses portes Nord ( accès au magnifique jardin à la française du Palais épiscopal, au cimetière (existe encore) , à la chapelle St Fiacre, à l’église Notre Dame de Coatcolvezou ) par sa grande porte ( accès à la place du Martray ).A la différence des cloîtres de monastères ce n’est donc pas une enceinte close mais un lieu pouvant être ouvert au public.
Mais le cloître est aussi étonnamment un espace marchand au Moyen-Age : il est loué pour les foires et les marchés . Il est ces jours-là très animé et très bruyant ; c’est un très joli marché couvert , ouvert sur la ville, ressource importante de revenus pour le chapitre de la cathédrale. Même à la Révolution ce marché continuera…mais au profit de l’autorité civile.« Foire grasse de Tréguier » (dans Le Braz Contes du Soleil et de la Brume) : loué à raison de 2 centimes le pied. Les colonnettes de granite servaient à attacher les bestiaux et souffraient beaucoup ; ces dégâts furent réparés lors du classement du Cloître par les Monuments historiques.
Angle Nord-Est : la plus belle vue sur la cathédrale
D’ici nous avons la plus belle vue sur la cathédrale avec ses trois tours : Hasting la romane , Sanctus la gothique (sonne à l’élévation), la flèche plus récente (et plus légendaire) surmontant le portail des cloches.
La Tour Hasting est un vestige de la cathédrale romane ; elle était peut-être un campanile séparé de l’église. Hasting a ravagé la région mais quel rapport avec cette tour ? La Tour du Sanctus du milieu est une tour gothique ; sa cloche sonnait le Sanctus.
La flèche en plomb domine la cathédrale de ses 68 m. N’a-t-elle pas été financée nous dit la légende , de manière peu orthodoxe ? Les faits ( !) rapportés par l’écrivain Anatole Le Braz : au XV ème siècle l’évêque souhaitait terminé la nouvelle tour ; un riche bourgeois inconnu lui promit de construire en une seule nuit une belle flèche en plomb, s’il lui accordait toutes les âmes des personnes de son évêché qui décèderaient entre la messe et les vêpres. L’Evêque signa le pacte, conscient que le Diable qu’il avait reconnu, était capable de déclencher une catastrophe à midi …Après la messe qui dura longtemps, l’évêque entonna aussitôt … le premier psaume des vêpres ; alors Satan comprit qu’il avait eu affaire a plus malin que lui…Cette légende peu catholique, pourrait être une allusion au commerce des indulgences à cette époque de la Réforme.
Plusieurs siècles après , la flèche nécessitait une reconstruction : la construction de cette nouvelle flèche (1785) fut subventionnée par l’argent du loto royal (20 000 livres accordées par Louis XVI) : malicieusement on peut y voir les figures du jeux de carte : trèfle, cœur, carreau…qui rappellent le financement par les jeux de hasard !Les cloches de la Tour neuve sonnent le « cantique à St Yves » (St Tugdual, St Yves, Sacré- Cœur, Notre-Dame, Balthazar)
La tempête de la nuit de Noël 1999 provoquera la chute de la flèche en rénovation (l'échafaudage bardé a donné une prise au vent) : 10 m de flèche s’écroule…elle sera refaite sur 16 m.
L’ancien coq , descendu avant la tempête , reste visible à l’entrée du cloître : c’est un coq siffleur (sur les ailes).
Il n’y avait pas, à l’origine de symbole religieux dans ce cloître ; on y remarque depuis 1938, au centre le Calvaire de Keralio.
L’histoire est connue : Ernest Renan, l’écrivain , le philosophe Trécorrois , professeur d’hébreu au Collège de France , chargé de mission en Phénicie , a fortement choqué le monde catholique par sa Vie de Jésus . Il souhaita être inhumé au milieu de ce cloître (fin XIX ème) ; les autorités religieuses de l’époque effarées par cette possibilité se dépêchèrent d’y installer une statue de St Yves comptant que jamais on ne déménagerait la statue du saint pour y mettre le renégat Renan ; l’histoire leur a donné raison , deux statues de St Yves se sont succédées dans ce cloître avant d’être remplacées par le calvaire de Keralio.
« C’était le temps où les catholiques se considéraient comme assiégés et agressés en permanence par la République et où les « laïques » voyaient dans l’Eglise l’ennemi à abattre » (Abbé Talbot). La suite est connue : quelques années avant la séparation des Eglises et de l’Etat (1905), les Bleus républicains érigèrent une statue à Renan devant la cathédrale (13 septembre 1903 inauguré par Emile Combe) et l’année suivante les catholiques (19 mai 1904) lavaient l’affront en inaugurant sur les quais le calvaire de la Réparation ! (écrit sur ce calvaire en 3 langues : Français , latin et Breton, «En vérité cet homme était vraiment , Fils de Dieu _ Vere,hic homo Filius erat-_En gwirione, an den-man a oa Mad Doué")
Entre la cathédrale et le Palais épiscopal (Hôtel de Ville actuel visible dans le coin NO) se sont succédés le trésor (a brûlé), la bibliothèque (de nombreux ouvrages dont le Catholicon imprimé à Tréguier en 1499), la salle capitulaire. L’évêque avait accès directement en ses appartements privés (chapelle privée, « chambre de l’évêque ») et en particulier en la grande salle synodale de son Palais (aujourd’hui salle d’honneur de L’Hôtel de ville ).
C’est le seul « groupe cathédral » en Bretagne qui ait survécu : Palais épiscopal + cloître + cimetière + cathédrale…Il n’en existe plus que quelques uns en France. Tréguier possède donc ce trésor patrimonial très rare.